Les programmes
de protection de l'enfance portent l'idée selon laquelle éducation et migration
de travail sont incompatibles ; or les adolescentes migrantes ont des
profils diversifiés, incluant de multiples formes d'éducation. Une recherche
menée au Sénégal dans le cadre du programme "Terrains partagés" du
LMI MOVIDA dépasse une conceptualisation étroite de l'éducation en tant que
scolarisation formelle pour explorer comment les adolescentes perçoivent les
liens entre migration et éducation, et comment la migration exacerbe les
différences de genre et affecte en pratique leur éducation.
Migrer pour continuer son éducation
Les enfants
abandonnent rarement l'école parce qu'eux-mêmes ou leurs parents ont décidé qu’il
leur fallait migrer pour travailler. La plupart quittent l’école en raison des
dysfonctionnements du système scolaire, de l'incapacité de leurs parents à
payer les dépenses liées à l’école, ou d'une désillusion envers la
« rentabilité » des diplômes. C'est particulièrement évident au
niveau du second cycle de l'enseignement secondaire, où l'enseignement devient
nettement plus onéreux. Néanmoins, les adolescentes aiment apprendre, elles/ils
connaissent l’importance de la scolarisation et de l'éducation au sens large,
et cherchent à compenser le manque d'opportunités dans les zones rurales en
partant pour la ville.
Nombre d'entre
eux migrent vers les villes avec l’objectif de continuer leurs études ;
certains cherchent du travail pour gagner de quoi retourner poursuivre leur scolarité,
d'autres cherchent de quoi financer une formation professionnelle. Les membres
de la parenté urbaine invitent fréquemment les adolescentes à venir travailler
pour eux avec la promesse de leur payer les frais de formation professionnelle à
titre de salaire. Même pour celles et ceux qui ne poursuivent pas leurs études au
sens formel de scolarisation, leur trajectoire migratoire et professionnelle
est souvent structurée par une forme d'apprentissage leur permettant de prétendre
à des emplois urbains mieux rémunérés et de passer d'un travail non qualifié à
un travail peu qualifié.
Les élèves migrants : “partir en vacances
travailler”
Les migrations
de travail pendant les grandes vacances scolaires sont de plus en plus
fréquentes en Afrique de l'Ouest à mesure que la scolarisation et le maintien à
l’école s'étendent aux zones rurales et incluent les enfants des familles les
plus pauvres, filles et garçons. Cette pratique est également répandue en
Côte d'Ivoire, au Ghana et au Togo. Les données de suivi démographique en
pays sereer au Sénégal montrent aussi un changement temporel dans les migrations
saisonnières de travail des adolescentes au cours des vingt dernières années :
la majorité des filles qui migrent pour travailler comme domestiques à Dakar ne
le font plus pendant la saison sèche, mais plutôt pendant les vacances
scolaires en période d’hivernage, afin de gagner de quoi financer la poursuite
de leur scolarité.
Un focus group mené à Ziguinchor à partir
d’une cartographie participative des trajectoires migratoires des élèves
migrants, a révélé que les enfants des régions rurales de Casamance commencent
à migrer pour travailler pendant leurs vacances à partir de l'âge de 10-13 ans.
Les garçons partent tout d’abord dans les régions du Nord (Sénégal central,
Vallée du Fleuve) pour s’engager dans des travaux agricoles ou horticoles, puis
se rendent dans les grandes centres urbains (Dakar, Thiès) pour travailler
comme vendeurs ambulants et porteurs sur les marchés. Ceux qui sont venus à
Ziguinchor ont été attirés par des informations circulant sur la facilité d’y
trouver du travail comparativement à Dakar où la concurrence dans l’économie
informelle est beaucoup plus forte. Le prix du voyage, les frais de nourriture
et d’hébergement sont également moins chers hors de Dakar. Pour les filles
élèves migrantes cependant, le choix n'est pas aussi libre. Les filles rurales
émigrent presque exclusivement vers Dakar pour travailler comme domestiques,
celles qui viennent de Basse Casamance ou de Kolda peuvent aussi venir à
Ziguinchor. Outre les services domestiques, les élèves migrantes travaillent
comme petites vendeuses ou dans les petits restaurants de la gare routière.
Dans l'esprit de ces jeunes migrantes, « partir en vacances pour travailler » traduit leur situation socio-économique subalterne, étant donné qu'ils ne peuvent pas, à la différence des enfants de familles plus aisées, suivre les cours de vacances qui pourraient soutenir leur réussite scolaire. Les revenus dérisoires que les élèves migrants des deux sexes parviennent à gagner pendant les vacances, les conditions de travail difficiles et les mauvais traitements infligés par certains employeurs ajoutent à leur frustration, mais elles/ils s'accrochent néanmoins à l'idée que ces efforts les portent progressivement vers leurs projets futurs d’achever leur scolarité, de soutenir leurs parents et d’atteindre un meilleur statut social et professionnel.
Adolescentes migrants hors-de-l’école : vers
d’autres formes d’éducation
À Ziguinchor,
parmi les adolescentes migrants non ou dé-scolarisés, nombreux suivent une
formation professionnelle en tant qu'apprentis tailleurs/couturières ou
chauffeurs. Les garçons mentionnent également l’apprentissage dans des métiers
typiquement masculins tels que maçon, mécanicien et soudeurs. Très souvent, les
conditions d’apprentissage sont négociées par de proches parents, mais tous les
apprentis ne sont pas certains du contenu de l’accord. Les trajectoires des
adolescents, garçons et filles, mettent en évidence des différences de genre et
de classe quant aux possibilités et à la capacité de se concentrer sur
l'acquisition d'un métier spécialisé. De nombreuses filles ne travaillent comme
apprenties qu’à temps partiel (quelques heures quotidiennes en après-midi), parce
qu'elles travaillent aussi à temps partiel comme petites domestiques, soit
contre salaire chez une patronne, soit sans rétribution monétaire au service de
la parente-tutrice qui les héberge.
Bien que les normes
sociales relatives au genre, au travail, à la reproduction et au statut des
enfants évoluent, et que les filles accèdent à différentes formes d'éducation, les
normes concernant le travail adapté au sexe et à l'âge déterminent fortement leur
trajectoire. Le travail domestique reste un domaine féminin. La mise au travail
domestique de filles migrantes issues des familles les plus pauvres peut
émanciper les filles (et parfois aussi les fils) des familles qui les emploient
ou les hébergent. Ainsi, alors que la migration peut ouvrir la possibilité
d'apprendre un métier, la distance géographique et sociale avec leur famille
d'origine que produit la migration, ne garantit pas aux filles la possibilité
de dépenser la majeure partie de leur temps et de leur énergie à une activité
de formation.
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